Quand Lison de Caunes se met à raconter son métier et son parcours, elle s’emballe et son visage s’éclaire. Spécialiste de la marqueterie de paille, elle a repris, il y a une quarantaine d’années, le flambeau de son grand-père, le décorateur André Groult, pour redonner ses lettres de noblesse à cet artisanat tombé dans l’oubli pendant des décennies. Elle était de passage à Beyrouth pour une série de rendez-vous avec des architectes.
Une fois ses études à l’Union centrale des arts décoratifs achevées, Lison de Caunes s’est lancée dans la restauration de meubles et objets des XVIIe et XVIIIe siècles jusqu’à la période Art déco. Dans une deuxième étape, elle a décidé de se consacrer à la marqueterie de paille dont elle maîtrise parfaitement le savoir-faire. Aujourd’hui, dans ses ateliers parisiens, Lison de Caunes planche sur la création de sa propre ligne d’objets et répond aux commandes d’architectes d’intérieur et de décorateurs français et étrangers comme Hubert Le Gall, Vincent Darré, Thierry Lemaire, Jean-Louis Deniot, Mathieu Lehanneur... Elle travaille aussi avec Peter Marino, Christina Celestino et bien d’autres.
«La paille utilisée pour la marqueterie provient des céréales de seigle notamment, explique celle qui cumule les distinctions, dont le titre de Maître d’art. La tige rigide recouverte de silice est naturellement brillante, elle n’a pas besoin de vernis. Comment procède-t-on? La paille est ouverte, écrasée, teintée par le céréalier, puis collée bord à bord avec une colle à bois sur du métal ou du bois dans les ateliers. La spécificité de la paille de seigle, c’est la lumière qu’elle accroche, cette brillance présente dans la matière première que lui confère le silice.»
Cette paille que l’artiste-artisan se plaît à appeler «l’or des pauvres» est un matériau modeste qui, avec la transformation, devient un produit de luxe aux mille et une formes et couleurs. «Il s’adresse à une clientèle cultivée, raffinée, qui a envie de quelque chose d’exceptionnel. L’objectif est de faire le plus beau possible avec une matière extrêmement humble.» Les créations, qu’il s’agisse d’objets, de meubles d’appoint ou de panneaux muraux, sont réalisées exclusivement à la main dans l’atelier de la rue Mayet. Il compte une dizaine de personnes qui s’appliquent à sélectionner les tiges selon la longueur, l’intensité de la couleur et de la brillance pour réaliser un assemblage parfait. Un travail sophistiqué et délicat qui nécessite patience, méticulosité et beaucoup de temps. «Il faut, pour obtenir un mètre carré en paille droite, prévoir quatre jours de travail. Le paravent en camouflage nous a pris un mois. En fait, plus le motif est compliqué, plus le travail de la marqueterie est long et plus il revient cher».
Lison de Caunes dit surfer sur l’engouement pour l’Art déco qui se manifeste depuis quinze ou vingt ans et qui a contribué à la réhabilitation de la marqueterie de paille. Cette technique ancienne est devenue la nouvelle star des maisons du luxe. Hermès, Guerlain, Boucheron... font appel à ce savoir-faire pour la décoration de leur vitrine ou de leur espace commercial.
«Aujourd’hui, reconnaît notre passionnée d’art, ce métier n’est plus en voie de disparition, il redevient à la mode. Plusieurs anciens employés et stagiaires se remettent à le pratiquer. Il y a une vraie concurrence en France, en Europe et en Asie… Pour rester au sommet, et comme j’étais la pionnière de cette relance, je continue à miser sur l’innovation. Je cherche de nouvelles associations entre la marqueterie et la patine, ou la feuille d’or, ou encore avec des verriers, des gens qui travaillent le métal.» Lison de Caunes est fière de revendiquer un savoir-faire made in France, made in Paris, et compte sur son expertise et la réputation d’excellence qu’elle s’est forgée au fil des ans pour écrire de nouveaux chapitres sur son livre d’or.
Ghada Baraghid