Une ville condamnée à déménager pierre par pierre, une tour de bureaux que l’on veut transformer en attraction foraine, un édifice monumental qui dévore son architecte… Derrière un geste architectural ou urbanistique s’écrit parfois une histoire pleine de drames et d’humanité. Taillée dans l’étoffe dont on fait les romans.
Au-delà du Louvre, puis des Champs-Élysées et de l’Arc de Triomphe, la Grande Arche de la Défense ponctue l’axe historique qui traverse Paris d’est en ouest. C’est un formidable portique aux façades blanches et biseautées, posé à la lisière entre le quartier de la Défense et Nanterre, légèrement désaxé pour que le public en perçoive dès le parvis les trois dimensions. L’agence Valode et Pistre vient d’en réaménager le dernier étage, vide depuis des lustres, ainsi que le toit-terrasse, mettant un point -presque- final à la belle et triste histoire de l’édification d’un bâtiment-sculpture inauguré le 14 juillet 1989, pour le bicentenaire de la Révolution française. Mais désiré par François Mitterrand depuis 1981. En 1983, un concours international (anonyme) mobilise les architectes stars de l’époque, mais le résultat va en surprendre plus d’un…
Car le projet lauréat, une arche toute blanche, sort du lot comme un lapin d’un chapeau. Les idées, magnifiques, et les dessins, d’une pureté remarquable, sont le fait d’un architecte inconnu de cinquante-trois ans, un Danois, Johan Otto von Spreckelsen. Quand on cherche à le contacter, l’heureux élu est à la pêche aux harengs. Le phénomène, que l’on rapatrie à Paris, a en tout et pour tout construit quatre églises dans son pays. Il n’en est pas moins idéaliste: Spreckelsen veut édifier un hypercube de 110 mètres de haut, «une forme splendide où un cube est à l’intérieur d’un autre cube, un cube de vide dans un cube de marbre», écrit Laurence Cossé qui dans La Grande Arche (1) raconte, avec le talent d’une romancière, la picaresque destinée de l’édifice et de son concepteur.