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Amale Andraos, une femme architecte bien dans son temps.

IL Y A QUATRE ANS, L’ARCHITECTE D’ORIGINE LIBANAISE AMALE ANDRAOS DEVENAIT LA PREMIÈRE DOYENNE DE GSAPP, L’ÉCOLE D’ÉTUDES SUPÉRIEURES EN ARCHITECTURE, URBANISME ET PRÉSERVATION DE LA COLUMBIA UNIVERSITY, FAISANT AU PASSAGE LA FIERTÉ DE LA SCÈNE LIBANAISE. DURANT SON SÉJOUR À BEYROUTH CET ÉTÉ, POUR ENCADRER LE TRAVAIL D’UN GROUPE D’ÉTUDIANTS DE COLUMBIA SUR LA VILLE DE SAIDA, AMALE ANDRAOS PARLE À DÉCO MAGAZINE DE SON PARCOURS, DE SON APPROCHE ET DE SES PROJETS.

Née à Beyrouth puis ayant vécu en Arabie saoudite, à Paris, au Canada, aux Pays-Bas et aux USA, Amale Andraos retient de son identité libanaise un aspect très cosmopolite. Pour elle, la tragédie de la guerre avait généré la chance d’habiter un peu partout dans le monde, et de se frayer un chemin passionnant en profitant de chaque occasion pour apprendre et cultiver sa curiosité de l’autre. À Harvard, elle dit avoir eu d’excellents professeurs: Hashem Sarkis, Toshiko Mori, Michelle Addigton, mais avoir été particulièrement intéressée par le travail avec Rem Koolhaas, «parce qu’il poussait vraiment l’éducation en disant que l’architecture devait se pencher sur ce que la globalisation était en train de produire au niveau de l’urbanisme, et comment elle était en train de changer fondamentalement l’architecture et l’idée même de la ville.» Une approche qui prône un regard critique et un questionnement constant. Aujourd’hui encore, Amale Andraos dit qu’on n’a pas tout appris, et que l’incertitude et la difficulté du contexte actuel sont surtout une opportunité de tout réinventer et de tout remanier. Raison pour laquelle elle a accepté la position de doyenne au GSAPP.
L’architecture comme forme de savoir
Amale Andraos est également cofondatrice avec Dan Wood de l’agence new-yorkaise WORKac et auteur de plusieurs publications comme 49 Cities, The Arab City: Architecture and Representation et Above the Pavement, the Farm! L’éducation, l’écriture, la production de projets, la réflexion théorique, autant de facettes qui contribuent à la pratique architecturale, dans son sens large et ouvert. Pour Andraos, l’architecture est une forme de savoir, une manière de regarder le monde, et c’est ce qui l’intéresse: réinventer cette discipline tout en gardant un rapport constant avec le monde. «L’architecture, ce n’est pas un immeuble, un objet inerte. C’est une réflexion autour des relations, de l’environnement. L’écriture, l’éducation, toutes ces pratiques sont architecturales: on projette des idées et elles prennent forme de façons différentes.» Dans sa vision du programme éducatif, l’architecture ne se définit pas par ce qu’elle est, mais par tout ce qu’elle pourrait être: alors que certains étudiants repensent la discipline au niveau théorique, d’autres s’intéressent à réinventer la pratique. Les relations possibles au domaine s’en trouvent donc multipliées et l’éducation en devient plus ancrée dans le réel. D’ailleurs, l’approche qui caractérise les projets de WORKac en témoigne: une quête de réinvention et une collaboration avec des disciplines différentes pour repenser l’architecture «dans le monde».
Un projet en bord de mer à Batroun
Initialement contacté pour concevoir une villa dans un projet résidentiel en bord de mer à Batroun, WORKac finit par collaborer avec Chafik Saab (Jamil Saab & Co) pour repenser le concept général du projet tout en conservant l’implantation d’origine. Situé sur un terrain en pente, pieds dans l’eau, le projet comprend plusieurs séries de villas parallèles à la plage, sur quatre niveaux différents, ainsi qu’un club-house. L’opportunité pour l’agence américaine de se pencher sur la compression entre la montagne et la mer, caractéristique de la côte libanaise, mais aussi sur la notion de densité, et sur la possibilité de générer des expériences diverses et le sentiment d’avoir une maison individuelle. «Dans ce projet, la tension entre le collectif et l’individuel se joue dans une topographie de toitures: les toits de chaque série deviennent les jardins de la série située au niveau supérieur et forment une extension visuelle du domaine privé. Il a fallu repenser l’intimité, le rapport entre l’intérieur et l’extérieur, le privé et le collectif, pour que la densité contribue à une expérience architecturale stimulante, au lieu d’être perçue comme une contrainte.» C’est également un projet qui porte un défi particulier, celui de concevoir des jardins durables en bord de mer. Pour les jardins, WORKac travaille en collaboration avec Green Studios. «Chafik Saab a compris les risques liés au paysagisme dans ce contexte et a fait preuve de beaucoup de courage et de détermination dans son approche. Tout le monde s’est vraiment engagé à la réussite et à la durabilité du projet.» Pour le moment, Marea reste le seul projet en cours de WORKac au Liban.

Sur le développement immobilier
La discussion autour du projet de Batroun ramène inévitablement au cursus proposé par GSAPP: le programme comporte en effet une branche pour le développement immobilier. Mais comment cette discipline se positionne-t-elle par rapport à celles qui ont des fondations théoriques et des pratiques établies comme l’architecture, la préservation ou encore l’urbanisme? Amale Andraos explique que le GSAPP est un croisement entre la tradition des beaux-arts et le pragmatisme américain. «Toutes ces disciplines ont mis du temps à en arriver là, en termes de discours critique et de théorie. Avec le temps, et j’espère que ce sera dans les cinq années à venir, une auto-réflexion sur la question du développement immobilier va commencer à percer, une réflexion critique, qui ne serait pas strictement liée à la pratique et aux règles du marché. Nous avons besoin de cette dimension dans le développement immobilier, et c’est le milieu académique qui doit pousser dans cette direction.»
Une vision qui se précise
Et à la question de savoir comment elle évalue les années passées à Columbia, et comment elle envisage celles à venir, Amale Andraos dit que ce qui est particulièrement stimulant à ce stade, c’est que les graines semées commencent à pousser et prendre forme. Même si cette forme n’est pas forcément celle qu’elle avait imaginée au départ: «On lance des choses, mais les autres doivent se les approprier avant qu’elles ne reviennent sous de nouvelles formes. C’est comme tout projet, on construit une infrastructure et puis les choses prennent vie… Il faut constamment les relire, faire des ajustements dans la direction… C’est tout un processus, pas une fin.»

Une approche qui fait sans cesse appel au questionnement, à l’adaptation, à la réinvention, c’est ce qui, peut-être, caractérise le mieux le parcours d’Amale Andraos. Dans le contexte actuel, elle se dit pleine d’espoir: «Ce sont des moments difficiles, au Liban et partout ailleurs. Mais les architectes sont des optimistes malgré eux. Je pense que notre contribution est de continuer à affirmer qu’il y a d’autres moyens de faire et d’autres moyens d’être.»

Stéphanie Ghazal

 

 

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  • À Bkerzay, à Deir el-Qamar, la montagne hospitalière.

    Dans cette région, les pommes de pin poussent par paire sur les branches. D’où bi kerzayn, que Ramzi Salman a transformé en Bkerzay. Tel est le nom donné à ce projet humain, écologique et artistique que le promoteur a conçu au milieu des pins sauvages.

    Le pin sera bien au cœur du projet Bkerzay, tout comme ses acolytes sylvestres et cette végétation méditerranéenne qui tient tant à cœur à Ramzi Salman, promoteur et concepteur de cette initiative, tout comme l’architecture libanaise et ce qu’il appelle «le charme du Levant».