Faut-il forcément construire tout ce qui passe par la tête (et la planche à dessin) des architectes? ASSURÉMENT, quand l’agence d’Olivier Brochet se pique de restaurer une maison de cognac ou de créer un nouveau musée bordelais. Pas sûr quand l’architecture impacte l’environnement comme le futur EuropaCity. Mais oui, trois fois oui quand Junya Ishigami invente de doux refuges pour ses semblables.
Fondation Martell à Cognac, sa vigne, ses œuvres
Cognac, ses 20 000 habitants, ses cinq maisons de spiritueux, sa rivière Charente qui baigne un cœur historique de maisons à pans de bois et une réputation qui taquine les confins du monde. C’est la ville natale de François 1er et le fief de l’eau-de-vie qui porte son nom. Prononcez «Cognac» et vous ferez frissonner les Américains et les Asiatiques pour qui le mot fait partie des quatre ou cinq appellations françaises les plus connues au monde, après Paris et Bordeaux! D’ailleurs ils ne manquent pas d’y visiter en touristes avertis les plus grandes maisons de cognac. Dont la maison Martell, la plus ancienne, trois siècles au compteur. Comme bien des entreprises de luxe, celle-ci a ouvert en 2016 sa propre fondation d’entreprise culturelle dans son bâtiment phare, construit à la fin des années 20 dans le style Bauhaus. La forme pyramidale de cette ancienne unité de mise en bouteille lui donne la silhouette assez exotique d’un temple babylonien. Quant à la rénovation opérée par le cabinet d’architecture bordelais Brochet Lajus Pueyo, elle a rendu aux façades noircies par le torula, redoutable champignon de la région, une blancheur éclatante. On accède à l’arrière du bâtiment par un étonnant passage en bois en forme de coque de bateau inversée, qui rappelle avec à propos l’intérieur d’un tonneau.
Toujours en chantier, la Fondation Martell a promis d’ouvrir progressivement, jusqu’en 2021, ses différents étages à la création contemporaine (design, architecture, métiers d’art, danse…) et aux savoir-faire d’excellence. En 2017, les architectes espagnols José Selgas et Lucia Cano ont investi la cour pavée avec une architecture protéiforme équipée de coussins jaunes. Soit de moelleux présentoirs dédiés aux créations d’artisanat d’art, mais reconvertibles en couchettes pour des siestes musicales. En juin dernier, c’est le rez-de-chaussée, dédié désormais à des installations immersives conçues spécialement pour le site, qui a accueilli la merveilleuse création poétique d’Adrien Mondot et Claire Bardainne, L’Ombre de la vapeur: un espace de circulation planant, modelé par des ordinateurs synchronisés. Ne pas rater, dans le hall d’accueil, la suspension monumentale de Nathalie Talec, Shine a Light, arborescente sculpture lumineuse dont chaque branche supporte une chimère de céramique ou de verre. En juillet, la maison a ouvert un rooftop éphémère, avec une vue à 360° sur la ville. Indigo by Martell, où l’on déguste cela va sans dire des cocktails à base de cognac, est passé par les mains du studio d’architecture spécialisé dans l’éco-design Prémices & Co. Sa banquette podium est l’œuvre de créateurs locaux et ses tables en lames de bois cintré celles du designer Christophe Bret. L’habillage en chêne de la terrasse provient de ce bois dont sont faites les barriques de chez Martell. «Enivrez-vous sans cesse, conseillait Baudelaire, de vin, de poésie ou de vertu.» Ou de luxe?
Le pavillon Martell de SelgaScano, jusqu’en octobre 2018. L’Ombre de la vapeur, jusqu’en mai 2019. Fondation Martell, 16000 Cognac.