ARCHI-NEWS

Notez cet article
(0 Votes)

«RECONSTRUIRE», DISENT-ILS

Le 15 avril dernier, l’incendie qui a ravagé la toiture et la flèche de Notre-Dame de Paris a suscité dans un même temps une déferlante d’émotion et un intérêt soudain pour la sauvegarde du patrimoine. Icône de pierre de neuf cents ans, symbole de la Ville Lumière comme de la foi chrétienne, la cathédrale mobilise aujourd’hui de nombreuses questions autour de sa reconstruction. Transformant tout un chacun en architecte d’une cathédrale fantasmée.

 

 

C’était, aux abords de la Seine et des bouquinistes, une fin d’après-midi de routine touristique, quant à 18h45, ce lundi 15 avril, le feu se déclare dans Notre-Dame de Paris. Il attaque les combles de la cathédrale, s’étend sur toute la toiture, avale la flèche qui s’effondre, lèche la tour nord, laisse craindre le pire…. Stupeur et tremblements dans la foule qui s’est amassée sur les berges voisines, touristes et Parisiens confondus, croyants et non-croyants au coude-à-coude. Les images télévisées, qui se déversent sur le monde entier, révèlent, vu du ciel, un bâtiment enflammé en forme de croix. Au petit matin, le bilan tombe: surnommée «la forêt» en raison de son épais faisceau de poutres, l’inestimable charpente, longue de cent mètres et datant du XIIIe siècle, a totalement disparu, la flèche de 750 tonnes a projeté en s’effondrant les débris de la toiture dans la nef, le plomb des vitraux a fondu, le grand orgue aux cinq claviers et 8000 tuyaux ainsi que certains tableaux monumentaux ont été endommagés par la fumée et l’eau des lances à incendie. Mais les splendides rosaces sont intactes, comme les cloches de Notre-Dame qui, en flambant, auraient entraîné la chute des beffrois. Rescapé aussi le coq de bronze arrimé au somme de la flèche que l’on retrouve le lendemain, au pied de la cathédrale, coquille cabossée abritant des reliques inestimables. Bienheureuse circonstance: les seize statues d’apôtres et d’évangélistes qui entouraient le pied de la flèche avaient été déposées quelques jours auparavant dans un ballet de grues télégénique. Au milieu de ce tableau désolé l’échafaudage en acier galvanisé a résisté, totem ironique des travaux de restauration en cours.

 

La question de la modernité

 

Les cendres sont encore chaudes et l’émotion palpable lorsque le président de la République Emmanuel Macron promet de reconstruire Notre-Dame de Paris -«plus belle encore!»- en cinq ans. Un programme aux accents olympiques! Mais la réouverture au public du monument le plus visité de France (douze millions de visiteurs par an) doit coïncider avec le déroulement des JO de 2024. Un concours international de reconstruction est lancé, la controverse suit. Cinq ans! Le sacro-saint temps des cathédrales n’est plus ce qu’il était. Paradoxalement, ce timing contraint a exacerbé les premiers questionnements: faut-il reconstruire la charpente et la flèche à l’identique, avec les matériaux et les techniques de l’époque? La France possède bien le bois et les savoir-faire nécessaires mais a-t-elle suffisamment de main d’œuvre qualifiée? Ou bien faut-il utiliser des matériaux contemporains, béton, métal, titane, pour rebâtir en urgence la structure et rétablir vaille que vaille l’aspect extérieur? Rien d’inédit là-dedans, la cathédrale de Reims, détruite par les bombardements de la Première Guerre mondiale, a bénéficié d’une audacieuse charpente en béton armé, moins lourde que l’originale. Tout comme la cathédrale de Chartres, qui a brûlé en 1836, désormais dotée d’une charpente en fonte et fer sous une toiture en cuivre.

 

Édifiée en un peu plus de deux siècles (de 1163 au début du XIVe), témoin de la magnificence de l’architecture gothique, Notre-Dame de Paris a toujours fasciné, non pour ses dimensions (ce n’est pas le plus gigantesque des édifices religieux) mais pour la hauteur de ses voûtes et la finesse de sa structure. La symétrie de sa façade, l’équilibre de son plan à «cinq vaisseaux» ont inspiré les cathédrales d’Amiens, de Meaux, de Soissons et même de Cologne en Allemagne. Malmenée par la Révolution française, décor impérial du sacre de Napoléon en 1804, elle aborde le XIXe siècle dans un état total de délabrement jusqu’à ce que le roman éponyme de Victor Hugo suscite à son égard un regain d’intérêt. L’architecte Eugène Viollet-le-Duc engage alors un chantier de réfection qui durera vingt ans. L’impétueux ingénieur, qui prend (déjà!) quelques libertés avec le bâti historique, allège les arcs-boutants, modifie la rosace principale, remplace les tuyaux de plomb par des gargouilles et élève une flèche en chêne et plomb de 93 mètres de haut, en remplacement d’un ancien clocher démonté en 1792. C’est cet ouvrage «moderne» du XIXe siècle qui a été endommagé le 15 avril dernier. Et si, à l’instar de Viollet-le-Duc, l’on profitait du désastre pour donner à la cathédrale une ligne contemporaine qui la projetterait dans le millénaire à venir? Les tenants d’une reconstruction à l’identique (à l’image des architectes Jean Nouvel et Roland Castro) affrontent les défenseurs d’un geste contemporain (Odile Decq, Jean-Michel Wilmotte…). «Nous n’avons pas besoin de starchitectes qui rêvent de profiter du naufrage de la cathédrale pour aller y implanter de la contemporanéité sous prétexte qu’il faudrait aller vite», s’insurgent les architectes Denis Valode et Jean Pistre. «Jamais une œuvre fraîchement émoulue des meilleurs ouvriers du XXIe siècle ne portera la même véracité et la même force que celle qui fut construite par les compagnons des siècles derniers. Non pas que la technique de nos contemporains ne soit pas à la hauteur -bien au contraire- mais plutôt car il leur manquera toujours la légitimité de l’époque à laquelle ils appartiennent vraiment», analyse en revanche le cabinet d’architecture Godart et Roussel qui a d’emblée imaginé une toiture en acier alternant panneaux vitrés et tuiles en cuivre. Un véritable toit-terrasse transparent sur lequel les visiteurs pourraient déambuler.

 

De verre et de lumière parée

 

Dès le soir du drame, architectes et créateurs se sont emparés de leur palette graphique. À défaut d’être réalisables, leurs propositions déterminent un champ de réflexion -et de créativité- bienvenu. «On ne reconstruit pas 500 ans d’histoire en une journée à la grâce d’un ordinateur et de bonnes intentions, concèdent Paul Godart et Pierre Roussel pour qui ces projets ont toutefois «le mérite de nous interroger sur la façon dont nous voulons faire le deuil de Notre-Dame.» Les plus iconoclastes proposent de remplacer la flèche par le logo surdimensionné d’un célèbre fast-food ou par… un cirque, métaphore du battage médiatique. D’autres ont mis l’édifice sous globe, comme dans une boule à neige. Quant aux passerelles que l’auteur de bande dessinée François Schuiten fait tourbillonner autour de l’édifice ne seraient-elles pas un hommage aux artisans dont on pourrait contempler le travail en cours? Plus sérieusement, Alexandre Chassang du cabinet ABH Architectes dessine une nouvelle flèche en verre facetté qui apporterait une lumière zénithale dans la nef. Du cristal de Baccarat, c’est que choisiraient Massimiliano et Doriana Fuksas pour «réaliser comme un très haut pinacle éclairé la nuit et baigné de lumière». L’un des plus jolis projets est signé Alexandre Fantozzi du studio brésilien AJ6 qui recompose toiture et flèche dans un total look vitrail! La dimension écologique n’a pas échappé au studio NAB: la nouvelle flèche ferait office de ruche pour héberger les abeilles de la cathédrale et la toiture, en bois, servirait de serre urbaine. Rendre le toit aux visiteurs, effiler la flèche jusqu’à lui faire atteindre le ciel, privilégier les matériaux translucides… En filigrane se profile la question des stigmates de l’incendie. Faut-il les intégrer au projet? C’est ce que propose de façon radicale le designer Mathieu Lehanneur: figer le temps de l’incendie en dessinant en lieu et place de la flèche une flamme permanente monumentale recouverte de feuilles dorées. Certains y reconnaissent le mausolée dédié à Lady Di près du pont de l’Alma, d’autres la flamme olympique, en résonance avec ce délai de cinq ans qui présiderait à la fois à la tenue des JO et à la résurrection de notre cathédrale.

 

En Savoir Plus

 

Laissez un commentaire

(*)Mentions obligatoires

captcha...
  • Les Bords de Mer, une pépite Art déco au coeur de Marseille

    Depuis que Frédéric Biousse et Guillaume Foucher ont transformé une charmante bastide en hôtel de luxe au coeur du Luberon, l’homme d’affaires et le galeriste semblent avoir contracté le virus de l’hôtellerie. Une chaleureuse hospitalité qu’ils insufflent à chacun de leurs établissements. Et notamment dans l’hôtel Les Bords de Mer, à Marseille, qui domine le large comme un paisible paquebot.

    Le Domaine de Fontenille, premier-né de la collection, a donné son nom à un groupe hôtelier d’un nouveau genre, fondé par Frédéric Biousse et Guillaume Foucher.

couverture